Consommation de boissons alcoolisées à Ouagadougou : le frelaté, un poison qui tue à petit feu

3800 débits de boisson dans la ville de Ouagadougou selon la police municipale. L’alcool entraine un décès sur vingt dans le monde.Il est devenu la deuxième cause de mortalité évitable selon le ministère en charge du Commerce du Burkina. Notre pays connait un fort taux de mortalité de sa population jeune lié à la consommation des boissons frelatées. Ces frelatés sont vendus dans les kiosques qui envahissent les quartiers. De Bassinko à Lannoag-yiri et de Saaba à Boulmiougou, cette boisson coule à flot.Nous avons fait un tour dans certains débits de boisson et le constat est interpellateur.

9 heures. Nous sommes à Rimkieta. Dans un kiosque sans nom le tenancier y vend du whisky, du pastis, du mangoustan et autres. En nous faisant passé pour un habituel consommateur, nous prenons place et commandons une boule de whisky. Sur un banc à côté, le verre vide un monsieur nous regarde avec un air interrogateuwr. La quarantaine bien sonnée, les yeux enfoncés, les lèvres rouges. Pour rompre la méfiance, nous lui proposons 2 boules de pastis.

« Que Dieu te bénisse !  Merci beaucoup, mon frère. » lance-t-il.

Il vide rapidement ces 2 boules de pastis et parti aussitôt. Sous le hangar trois jeunes jouent au lido. Chacun, la cigarette entre les doigts, et le verre rempli de cocktail noir à côté. Je demande une partie de jeu. L’un d’eux prend du plaisir à siroter sa boisson.

  • Nous : « Ça doit être bon ton verre ? » 
  • Lui :« Ah oui.  Vous voulez gouter ? »
  • Nous : « Non je ne sais pas ce qu’il y a dedans »
  • Lui :« C’est juste du café plus du mangoustan »
  • Nous : « Ce mélange n’est-il pas dangereux ? »
  • Lui : « Mais non ça soigne plutôt le rhume ». 
  • Nous : « Mais c’est du frelaté. C’est dangereux pour votre santé ». 
  • Lui : « Tout abus est dangereux pour la santé. Mais je n’en abuse pas. Ce n’est pas parce que pour vous c’est une mauvaise boisson que c’est mortel. Ce que vous voyez ici, se retrouve dans les grands magasins, les hôtels et dans les boites de nuit. Pourquoi ce n’est pas de la boisson de mauvaise qualité à ces endroits ? nous aussi nous avons le droit de gouter aux bonnes choses. »

Et c’est le tenancier qui se frotte les mains. En effet, au quotidien il peut vendre huit à dix bouteilles et des centaines de sachets de ces boissons. Ce qui lui rapporte un bénéfice de huit mille à dix mille francs par jour nous confie-t-il.

Vendeur de liqueur

Autre endroit, mêmes réalités. Nous sommes à Boassa au secteur 33. Au kiosque « Réveilles tes sens », sur les étagères, différentes bouteilles et de sachets de boisson alcoolisée sont exposés. Du Sopal, du koutoukou ou quimapousse. Il y a autres marques comme lion d’or, roy, score, gnamarou, visa ou leader, flihter, glambo, gin, whisky, red label, épéron, pastis, stricker, mangoustan, vin, bousculator etc. Dans une caisse vitrée, des tourteaux d’arachides. Le petit déjeuner ici, c’est une gorgée de frelaté et quelques morceaux de tourteaux d’arachides.

Sur un banc surélever à la hauteur du comptoir du kiosque, des jeunes assis, les pieds pendant, discutent. Le sujet du jour, l’héroïsme de ce VDP tombé pour la patrie, Ladji Yoro. Chacun dans sa main ou devant lui un verre de liqueur. Le ton monte. Dans un coin du secco (clôture en paille), qui sert d’une demi-clôture un monsieur au cheveux grisonnants avec un corp frêle est assis. Le regard gluant, il écoute la conversation en roulant sa langue dans une bouche édentée. C’est le doyen nous apprend-t-on. Doyen en quoi, voulons-nous savoir. C’est le plus vieux client du kiosque. Tous ceux qui ont commencé à boire avec lui ne sont plus. Dans ce milieu, on dit qu’ils « sont allés commander du kimapousse ». Ce client, « phase finale » comme ils l’appellent pour se moquer de lui, semble bien accepter ce surnom. A chaque fois que l’on évoque ce nom « phase finale », il acquiesce de la tête en levant son pouce gauche.

Ces jeunes savent pourtant que la consommation des frelatés est un danger pour leur santé. Mais chacun a ses raisons. Pour Inoussa, conducteur de tricycle, il y a une différence entre eux et « phase finale ». Et il explique en ces termes : « Nous, nous buvons pour aller travailler. Mais eux ils boivent pourquoi ? en pointant du doigt  » phase finale » ». Il ajoute : « il ne bouge jamais de là toute la journée. Et de toutes les façons c’est nous qui payons pour lui ».

Et ne craignez-vous pas de devenir bientôt des « phases finales » ? voulons-nous savoir. « Non non. Nous, nous allons bientôt arrêter ». Retorque Inoussa avant d’ajouter : « C’est parce que le travail que je fais demande beaucoup d’effort physique. Je projette changer de boulot. Et dès que c’est fait j’arrête le frelaté. On sait que ce n’est pas bon pour notre santé ».

Phase finale et Inoussa conducteur de tricycle

Selon Dr Amado Bandé, médecin généraliste, les méfaits de la consommation de ces boissons vont de la trouble neuropsychiatrique aux maladies de l’appareil digestif comme la cirrhose du foie, et d’autres cancers comme ceux de la bouche, du foie, du colon de l’œsophage, etc.

Le gouvernement burkinabè, à travers le ministère en charge du Commerce, a déclaré la « guerre » aux producteurs, importateurs, grossistes et détaillants en interdisant la vente des boissons frelatées néfastes pour la santé. Ces boissons contiennent en plus de l’éthanol, d’autres substances à des proportions supérieures aux limites maximales autorisées et qui ne répondent pas aux bonnes pratiques de fabrication. C’est le constat fait par le Laboratoire national de santé publique qui effectue des contrôles de qualité des boissons alcoolisées importées ou produites localement. Malgré l’arrêté interministériel n°20019-0345/MCIA/MATDC du 19 Septembre 2019 portant interdiction de la production, de la commercialisation, de la consommation, de la distribution et de la détention des liqueurs en sachets plastiques, en bouteilles, force est de reconnaitre que le fléau a la peau dure au Faso. La Brigade Mobile de contrôle économique et de la répression des fraudes (BMCRF) est montée au front pour faire respecter cette mesure. Pour le coordonnateur de cette brigade Yacouba Bila, une quantité importante de cette boisson a déjà été saisies et détruites. Et les contrôles vont se poursuivre. Pour assainir le milieu, un cahier de charges portant réglementation de la production, de l’importation et de la commercialisation des boissons alcoolisées au Burkina Faso est validé en octobre 2020 par le ministère en charge du commerce. Yacouba Bila explique que ce cahier de charge « définit les différentes catégories de boissons alcoolisées, précise les conditions préalables à l’importation des unités de production, de délivrance de l’autorisation de production et du certificat de mise à la consommation, de la distribution et de la commercialisation ».

En attendant, des petits malins par des acrobaties qui restent à élucider, continuent d’alimenter les kiosques de la ville de Ouagadougou en boisson frelaté.

Wendyam Achille Kaboré